Traduction de Clément Famin, étudiant en licence LEA Anglais-Allemand à l’Université de Picardie Jules Verne (2024)
Les Suisses ont été à l’origine de cette invention : en 1943, le chimiste bâlois Albert Hofmann a découvert l’effet hallucinogène de l’acide lysergique diéthylamide, aujourd’hui mieux connu sous le nom de la drogue récréative LSD. Cependant, ce composé chimique recèle également un potentiel médical. Une autorisation exceptionnelle permet aux chercheurs suisses de travailler avec ces substances hallucinogènes. Friederike Holze, chercheuse à l’hôpital universitaire de Bâle en Suisse, mène des recherches pour déterminer si ces substances peuvent guérir les personnes atteintes de maladies mentales.
Photo : Les personnes qui prennent du LSD perçoivent souvent des couleurs altérées.
Crédit : Unsplash/Possessed Photography
Madame Holze, qu’est-ce que le LSD et comment agit-il ?
Le LSD est une drogue qui est fabriquée de manière synthétique. Son composant principal est obtenu à partir d’un champignon, l’ergot de seigle : c’est un parasite de différentes herbes et céréales, telles que le seigle, et il est extrêmement toxique. Des modifications chimiques permettent ensuite de produire du LSD.
Pour obtenir des effets, quelques microgrammes sont administrés par voie orale. Nous obtenons ainsi des effets très puissants qui altèrent la conscience, résultant de la stimulation du système nerveux par la sérotonine, un neurotransmetteur dans le cerveau.
Qu’est-ce que cela déclenche chez les participants de vos études ?
D’une part, il y a les modifications de la vision. Les personnes qui ont pris du LSD rapportent par exemple qu’elles voient des lumières et beaucoup de couleurs. Certaines personnes perçoivent également les formes classiques de mandalas que l’on voit lorsqu’on tape LSD sur Google.
Il y a également des changements au niveau de l’audition. Les sons sont perçus différemment. Des bruits faibles peuvent alors sembler beaucoup plus forts. La musique que l’on entend lors d’un trip sous LSD modifie ce que l’on voit. Cela peut avoir des effets très positifs ou très négatifs sur les sujets. Parmi les effets positifs, on compte par exemple l’euphorie et un sentiment d’amour universel.
[Photo de Friederike Holze]
« En médecine, les effets psychédéliques du LSD doivent être utilisés de manière ciblée. »
Dr Friederike Holze, Hôpital universitaire de Bâle
En revanche, un sentiment de perte de contrôle peut être négatif. Ou bien un malaise, qu’il soit mental ou physique, sous forme de nausées. Mais le LSD peut aussi provoquer des angoisses, comme la peur de ce qui nous arrive.
Un autre effet peut être qu’il n’est plus possible d’identifier correctement les actions et les déclarations d’autres personnes. Si quelqu’un dit « tout va bien », on ne comprend plus du tout ce que signifie « bien ».
Enfin, il peut aussi y avoir ce que l’on appelle les expériences de Dieu ou de foi. Il peut alors arriver que des personnes se sentent reliées à une entité supérieure ou voient une lumière blanche. En médecine, ces effets psychédéliques doivent être utilisés de manière ciblée.
Comment utilisez-vous le LSD en thérapie ?
On peut décrire le LSD comme une sorte de catalyseur ou de désinhibant, qui déclenche chez les personnes souffrant de maladies mentales des processus que l’on ne peut souvent pas déclencher uniquement avec une psychothérapie ou des médicaments classiques. Cependant, on ne peut jamais prédire exactement comment la substance agira sur un patient. C’est pourquoi nous n’utilisons le LSD qu’en complément d’une psychothérapie, c’est-à-dire dans le cadre d’une thérapie assistée par psychédélique. Dans notre étude, nous avons traité des patients souffrant de troubles anxieux avec une forte dose de LSD à deux reprises, à six semaines d’intervalle. Cela était intégré au sein d’une psychothérapie et les patients ont été examinés au préalable pour savoir s’ils étaient également aptes à participer à l’étude. En outre, ils ont eu un entretien préalable avec un thérapeute, un psychologue ou un psychiatre.
Comment se déroule le traitement au LSD ?
Les patients passent entre dix et douze heures dans leur trip au LSD. Ils sont soutenus en permanence par leur thérapeute. En particulier si un patient traverse une phase difficile, ou qu’une émotion intense fait surface, il est accompagné et le thérapeute peut l’aider à traverser ce processus. Dans la thérapie, on ne souhaite généralement pas interrompre ce processus, même s’il se déroule de manière négative. Les thérapeutes veillent donc à ce qu’il n’arrive rien aux patients pendant celui-ci et à ce qu’ils se trouvent dans un environnement sûr. Il y a ensuite des séances de psychothérapie, au cours desquelles on discute de ce que le patient a vécu pendant le trip en essayant de l’analyser.
Pour quelles maladies mentales le LSD est-il actuellement testé ?
Dans notre étude, nous avons pu constater une réduction durable et notable des symptômes d’anxiété et de dépression. Mais cela ne signifie pas encore que cela peut être utilisé directement comme thérapie. Pour cela, nous devons par exemple déterminer quel est le schéma thérapeutique le plus sûr et le plus efficace. La recherche n’en est donc qu’à ses débuts. Tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’il semble que la thérapie psychédélique avec du LSD puisse avoir un effet positif.
Dans le cadre d’une autre étude, des chercheurs examinent actuellement une influence positive pour les céphalées en grappe. Il s’agit d’une maladie neurologique pour laquelle il n’existe jusqu’à présent que peu d’approches thérapeutiques.
Quels sont les effets secondaires que vous observez ?
Parmi les effets secondaires durables, on distingue deux grandes catégories. D’une part, il y a les flashbacks. Les effets du LSD se sont dissipés, mais un déclencheur (en anglais trigger) amène à se sentir à nouveau brièvement comme au moment du trip. Le déclencheur peut être par exemple la musique que l’on a entendue pendant ce dernier. Ce n’est pas forcément un sentiment négatif pour tout le monde. Mais comme cet effet est indésirable, on parle ici d’effets secondaires.
D’autres effets secondaires peuvent être des distorsions de la perception à long terme. Par exemple, le fait de voir encore des motifs lorsqu’on regarde par terre, ou une sorte de neige visuelle lorsqu’on regarde au loin. Mais cela se produit très rarement, il n’y a donc pas encore beaucoup de données à ce sujet.
Peut-on en devenir dépendant ?
On ne parle pas de dépendance physique avec le LSD, mais il peut y avoir une dépendance psychique. Cela signifie que le patient ressent le besoin de reprendre de la drogue pour retrouver son bien-être mental. Il n’y a aucun symptôme de sevrage physique.
Le LSD en Allemagne
En Allemagne, le LSD est soumis aux dispositions de la loi sur les stupéfiants. Son utilisation sans autorisation est donc interdite. « L’idée reçue selon laquelle la possession de petites quantités de stupéfiants est légale persiste, mais elle est fausse. Certes, le procureur peut renoncer à des poursuites pénales en cas de petite quantité, mais la possession n’est pas pour autant légale », explique l’avocat Dominik Greinacher. Les Länder fixent la quantité de telle ou telle drogue que l’on peut avoir sur soi pour sa propre consommation. Le LSD ne fait toutefois pas partie de ces exceptions. Même la possession de petites quantités est passible d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans ou bien d’une amende.
Qui ne devrait pas prendre de LSD ?
Il y a des personnes qui ont par exemple des antécédents familiaux de schizophrénie ou de psychose. Ces personnes ne devraient pas prendre de drogues modifiant l’état de conscience, appelées psychédéliques.
En outre, le LSD présente un risque plus élevé en particulier pour les jeunes. On a vu dans de grandes analyses d’expériences contrôlées avec cette drogue que les effets étaient souvent très désagréables chez les jeunes. Ils ressentaient davantage d’anxiété, mais cela s’atténue avec l’âge. C’est pourquoi la limite d’âge minimum pour notre étude est de 25 ans et non de 18 ans, comme c’est généralement le cas dans les études cliniques. Nous avons constaté que prendre du LSD à un jeune âge est souvent lié à des expériences plus anxiogènes et qu’il peut être très désagréable.
Le LSD peut-il être utilisé en auto-thérapie ?
Non absolument pas ! Cette perspective peut sembler séduisante, mais la recherche ne nous montre pas encore si l’effet positif sur la maladie provient de la substance ou de la psychothérapie. Pour le moment, nous supposons que c’est l’interaction entre la substance psychédélique et la psychothérapie qui produit cet effet. Les expériences vécues par le patient doivent ensuite être analysées en thérapie, surtout si celui-ci souffre de maladie mentale et n’est peut-être pas capable de le faire lui-même.
En outre, il existe des risques aigus liés à la prise de LSD, comme l’anxiété, un état de panique ou même un dosage erroné. Un médecin ou un thérapeute peut déterminer beaucoup plus précisément quelle est la bonne indication, c’est-à-dire quelle quantité de LSD doit être prise dans un contexte thérapeutique adapté au patient. Il est préférable de faire cette expérience avec quelqu’un qui sait tout ce qui peut se passer.
Une conséquence possible d’un surdosage important consiste par exemple à tomber dans un trou noir jusqu’à ce que l’effet s’estompe. Si l’on surdose de manière modérée, on se met surtout à avoir peur que tout ce qui nous entoure nous submerge et que l’on ne puisse plus faire la différence entre soi et son environnement. C’est ce qu’on appelle aussi la « dissolution du moi ». Cette perte de contrôle peut alors également entraîner des états d’anxiété et de panique.
Combien de temps faut-il pour que de telles substances psychédéliques soient autorisées pour la thérapie médicale ?
Certaines entreprises pharmaceutiques y travaillent actuellement. Aux États-Unis, une substance similaire aux psychédéliques, la MDMA (un composant de l’ecstasy), vient de passer la dernière étape des essais cliniques. Les chercheurs veulent l’utiliser contre les troubles de stress posttraumatique. Pour l’instant, il semblerait que la MDMA puisse obtenir une autorisation de mise sur le marché aux États-Unis dès 2023. Cela pourrait être un précurseur pour d’autres substances. Je m’attends à ce que le LSD et d’autres substances similaires soient autorisées d’ici cinq ans, à moins que des obstacles inattendus ne surgissent.